L'Humanisme de Michel Foucault

Il nʼy a donc pas de discours universellement « neutres », ce qui mʼa conduit par la suite à ne jamais étudier un auteur sans restituer le contexte historique de sa pensée. Il était également « utile » au sens propre, véritable « boîte à outils » dans laquelle lʼétudiant que jʼétais trouvait une masse de concepts qui me permettaient de penser en apprenti foucaldien, sans pour autant parler de Foucault lui-même.

Mais cela ne représentait pas son unique utilité, loin de là : Foucault nous livre des lunettes qui nous permettent de lire entre les lignes des discours sociaux actuels, de comprendre comment ils se sont constituées, dʼen démasquer les artifices. La lecture de Foucault, en un mot, me semble fondamentale à toute éducation citoyenne.

2. Est-ce difficile de rédiger une introduction à un tel penseur ? Quels sont les écueils à éviter quand on écrit pour des non spécialistes ?

[DO] La difficulté propre à la pensée de Foucault vient de ses mutations, qui rendent difficile une saisie unitaire de lʼensemble de son œuvre. Insistant dans ses premières œuvres sur la notion de pouvoir, il limite par la suite cet axe de travail au profit dʼune étude des modes de subjectivation. Il est donc nécessaire dʼexposer à la fois ses premières analyses, et de marquer pourquoi elles on pu lui sembler insuffisantes par la suite. De plus, la mort lʼayant saisi au cours de lʼélaboration de son œuvre, les thématiques élaborées à la fin de sa vie nous apparaissent comme des embryons dʼune pensée à venir quʼil nʼa jamais produite.

Une « introduction » est donc toujours difficile à réaliser pour une pensée de ce genre. Dʼoù le choix dʼun fil conducteur, celui de lʼhumanisme, qui permettait de traiter et dʼunifier une grande variété de problématiques, sans pour autant prétendre résumer « tout » Foucault.

3. As-tu une culture de la bédé ou du dessin ?

[DO] Aussi loin que je me souvienne, jʼai toujours été passionné par le dessin et la bande dessinée. À lʼorigine, avant que mon parcours ne me conduise ailleurs, je voulais être dessinateur. Avant dʼentrer en philosophie, ma culture était même essentiellement issue de la BD. Je nʼai jamais considéré quʼelle constituaient une « sous-culture » comme nous pouvons parfois lʼentendre. Nombre de scénariste aujourdʼhui ont une formation philosophique et une « nouvelle BD » est apparue depuis quelques années, comme il a pu y avoir un « nouveau roman », qui me semble faire partie intégrante de la culture française (ou japonaise, mais jʼavoue moins bien connaître ce domaine).

4. Le dessin peut-il aider à penser ?

[DO] Ma réponse sera personnelle, sous la forme dʼun « oui » assuré. Jʼai toujours tenté de visualiser les auteurs que je travaillais — bien que ce ne soit pas toujours possible, certaines pensées étant trop abstraites — car je retiens mieux une image quʼun texte. Le dessin apporte un autre point de vue, qui me semble complémentaire, car il est lui-même une interprétation du texte.

Dans le cas présent, les dessins dʼIsabelle ne sont pas de simples illustrations du propos mais constituent eux-mêmes un discours sur lʼœuvre de Foucault, un autre angle dʼapproche qui associe le voir au dire. La pensée philosophique a besoin dʼillustrations pour sortir de son abstraction, et les philosophes utilisent très souvent lʼexemple pour clarifier leur pensée. Le dessin joue parfaitement ce rôle et aura sans doute à lʼavenir plus de place dans la pensée. Même sʼil ne dessinait pas très bien, Deleuze plaçait parfois des petits dessins dans ses œuvres, qui me semblent aussi essentiels que le texte lui-même.

5. Comment travailles-tu ?

[DO] Même si la méthode de travail peut varier en fonction des projets, je cherche en général dʼabord, sur un auteur que je connais déjà une ligne interprétative dʼensemble (lʼhumanisme dans le cas présent). Puis je relis, sinon tous les textes, du moins une très grande partie, afin dʼétablir un plan détaillé de lʼensemble. Puis je cherche à voir comment structurer un discours continu et articulé, nʼhésitant pas à changer le plan sʼil ne semble plus convenir lors de son développement. Dans ce cas précis, il sʼagissait de produire un texte qui nʼétait pas destiné uniquement à des philosophes de formation mais visait un public plus large, ce qui est toujours difficile car nous avons un jargon bien utile pour éviter les longues périphrases.

Souvent, je travaille seul, et rends un manuscrit définitif sur lequel je ne reviens pas, à part pour quelques corrections de détail. Avec cet ouvrage sur Foucault, il a été nécessaire de bousculer ces habitudes : les questions dʼIsabelle sur le texte, les lectures répétées des éditeurs et leurs remarques mʼont conduit à réécrire bien des passages qui étaient peu clairs, ce qui était nouveau pour moi. Cela mʼa grandement aidé car il est des choses qui semblent évidentes lorsque lʼon a des années de philosophie derrière soi, alors quʼen réalité elle ne le sont pas du tout pour un lecteur « profane ».

Avec Didier, nous avons chacun respecté et réellement apprécié le travail de lʼautre tout en nous exprimant en cas dʼincompréhension. Didier mʼa  aiguillée sur certaines notions, notamment mathesis et taxinomie sur lequelles jʼavais bien besoin dʼêtre recadrée.

3. Connaissais-tu Foucault avant ?

[IB] Je connaissais déjà le travail de Foucault et cʼest dʼailleurs parce que les thèmes quʼil aborde mʼintéressent et sont aussi souvent les sujets de mon travail (exclusion, punition, anormaux, sexualité) que jʼai accepté de faire ce livre.

4. Ce livre a-t-il amené quelque chose à ton travail ?

[IB] Si on se débrouille bien, on apprend tous les jours, donc bien sûr ce livre mʼa appris des choses et dans mon travail, il mʼa appris à me discipliner, cʼest-à-dire à travailler tous les jours, envie ou pas, à garder un rythme et une cohérence graphique. Cʼest un travail de commande, avec des délais et des attentes extérieures, et je nʼavais jamais fait ça.

5. Comment travailles-tu (techniquement, mentalement...) ?

[IB] Techniquement, avec un stylo noir très fin et toujours dans des cahiers parce que cʼest déjà une forme de livre. Mentalement, le fait de dessiner mʼapaise et cʼest toujours un petit défi de vouloir représenter ce quʼon a imaginé.